La lutte contre le blanchiment d’argent est devenue un pilier essentiel de la conformité économique en Suisse. Ce pays, longtemps perçu comme un refuge financier, a profondément renforcé son cadre réglementaire pour répondre aux exigences internationales du GAFI et de l’OCDE. Mais contrairement à une idée reçue, cette législation ne concerne pas uniquement les banques. Depuis la révision de la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA) en 2023, de nombreuses PME suisses sont désormais directement concernées, notamment dans les secteurs du conseil, de la fiducie, de l’immobilier, du commerce, de la comptabilité et des services administratifs.
En 2025, les autorités de surveillance renforcent les contrôles, et plusieurs PME ont déjà été sanctionnées pour absence de procédure interne ou documentation insuffisante. Comprendre la portée de ces obligations, les intégrer dans sa gouvernance et former son personnel sont donc devenus des enjeux stratégiques.
Le cadre légal et les entreprises concernées
La LBA impose aux entreprises dites intermédiaires financiers d’identifier leurs clients, de vérifier la provenance des fonds et de signaler toute opération suspecte. En Suisse, cette loi s’applique non seulement aux banques, mais aussi à tout acteur économique manipulant des capitaux pour le compte de tiers.
Tableau 1 : Entreprises concernées par la LBA
| Type d’activité | Soumise à la LBA ? | Autorité de surveillance principale | 
|---|---|---|
| Banque, fiduciaire, société de gestion | Oui | FINMA | 
| Cabinet d’avocats gérant des fonds tiers | Oui | OAR ou autorité cantonale | 
| Courtier immobilier encaissant des avances | Oui | Organisme d’autorégulation (OAR) | 
| PME de négoce ou de construction | Non, sauf gestion de comptes tiers | N/A | 
| Entreprise de conseil ou administrative | Partiellement, selon l’activité | Selon le canton | 
Les entreprises non soumises directement à la LBA peuvent néanmoins être tenues de démontrer leur vigilance en cas de flux suspects. Cette distinction est cruciale pour les fiduciaires, les sociétés de domiciliation et les cabinets comptables, souvent sollicités pour gérer des opérations transfrontalières.
Les obligations fondamentales
Les PME soumises à la LBA doivent respecter cinq obligations principales :
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Identifier le client (Know Your Customer – KYC) : collecte et vérification de documents officiels, y compris pour les personnes morales. 
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Identifier l’ayant droit économique : déterminer qui contrôle réellement les fonds ou les sociétés impliquées. 
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Surveiller les relations d’affaires : détection des incohérences ou anomalies dans les transactions. 
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Conserver les documents : les justificatifs doivent être gardés pendant dix ans. 
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Signaler les soupçons : toute transaction douteuse doit être déclarée au MROS, le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent. 
Ces obligations sont supervisées par la FINMA pour les institutions financières, ou par un Organisme d’autorégulation (OAR) pour les autres entités. L’absence de respect de ces règles peut entraîner des amendes, voire une radiation de l’OAR.
Tableau 2 : Exemple de processus interne de conformité
| Étape | Objectif | Exemple de mise en œuvre | 
|---|---|---|
| Identification du client | Vérifier la légitimité | Passeport, extrait du registre du commerce | 
| Détermination de l’ayant droit | Identifier le bénéficiaire final | Déclaration écrite signée | 
| Évaluation du risque | Classer la relation (faible, moyen, élevé) | Grille de scoring interne | 
| Surveillance continue | Suivre l’évolution des transactions | Audit annuel automatisé | 
| Signalement au MROS | Alerter en cas de soupçon | Déclaration confidentielle selon art. 9 LBA | 
Cette démarche s’intègre dans la gouvernance d’entreprise, thème abordé dans l’article sur la responsabilité civile professionnelle des PME suisses, qui rappelle que les dirigeants peuvent être tenus responsables de manquements en matière de conformité.
PME non financières : vigilance et prévention
De nombreuses PME pensent ne pas être concernées par la LBA. Pourtant, elles peuvent involontairement participer à des opérations suspectes, notamment via des paiements en espèces, des partenaires étrangers ou des transactions atypiques.
Les entreprises du secteur immobilier, du commerce de luxe, ou celles réalisant des opérations de facturation internationale sont particulièrement exposées. Par exemple, un règlement en liquide supérieur à 15 000 CHF ou une avance provenant d’un compte étranger doit susciter une vérification approfondie.
Les dirigeants ont intérêt à adopter des procédures internes de vigilance même s’ils ne relèvent pas directement de la LBA. Celles-ci peuvent inclure :
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la formation annuelle du personnel sur la détection des signaux d’alerte, 
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la vérification de la provenance des fonds lors des ventes importantes, 
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la conservation systématique des justificatifs, 
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la limitation ou suppression des paiements en espèces. 
Ces mesures renforcent la crédibilité de l’entreprise et s’inscrivent dans la logique des obligations de transparence introduites récemment pour les PME suisses.
Gouvernance et responsabilité des dirigeants
La LBA impose une responsabilité directe aux dirigeants. En cas de manquement, la sanction ne se limite pas à l’entreprise : le gérant ou l’administrateur peut être poursuivi pénalement.
L’article 305bis du Code pénal suisse sanctionne le blanchiment d’argent de cinq ans de prison maximum ou d’une amende allant jusqu’à 500 000 CHF. Les négligences graves, comme l’absence de contrôle ou une documentation insuffisante, peuvent également être sanctionnées.
Les PME doivent donc formaliser leur politique de conformité, définir un responsable (Compliance Officer), et consigner toutes les décisions relatives à la gestion du risque. Cette exigence rejoint les bonnes pratiques présentées dans l’article sur les assemblées générales en PME suisses, qui recommande une traçabilité accrue des décisions internes.
Outils numériques et automatisation
Les technologies de conformité ont évolué rapidement ces dernières années. Les PME peuvent désormais s’appuyer sur des logiciels de compliance intégrés permettant d’identifier automatiquement les clients, de vérifier les listes de sanctions internationales et de générer des alertes en cas d’anomalie.
Ces solutions s’appuient souvent sur des plateformes cloud hébergées en Suisse, garantissant la sécurité et la conformité avec la Loi fédérale sur la protection des données (LPD). Ce lien entre sécurité et gestion numérique rejoint les enjeux abordés dans les articles sur le cloud et l’hébergement local et sur la cybersécurité des PME suisses, qui insistent sur la protection des informations sensibles.
L’automatisation permet également d’intégrer les contrôles LBA à d’autres fonctions administratives, comme la facturation électronique ou la gestion de la trésorerie, simplifiant ainsi le suivi comptable et la détection de flux inhabituels.
Tableau 3 : Avantages de l’automatisation de la conformité
| Avantage | Description | Exemple concret | 
|---|---|---|
| Gain de temps | Réduction du traitement manuel des dossiers | Validation automatique des clients | 
| Traçabilité | Historique complet des contrôles et rapports | Archivage numérique certifié | 
| Réduction des erreurs | Moins d’omissions humaines | Alertes automatiques en cas d’incohérence | 
| Sécurité des données | Protection conforme à la LPD | Cloud suisse certifié ISO 27001 | 
Interactions avec la fiscalité et la prévoyance
La lutte contre le blanchiment d’argent est étroitement liée à la fiscalité et à la prévoyance professionnelle. Une gestion transparente des flux financiers facilite la déclaration correcte des impôts sur le bénéfice et le capital, et renforce la fiabilité des comptes soumis à révision.
Les paiements liés à la LPP (prévoyance professionnelle) et à l’assurance accident doivent également être clairement documentés. Cette cohérence entre comptabilité, fiscalité et obligations sociales réduit le risque de suspicion et démontre la diligence de l’entreprise.
Les fiduciaires suisses, souvent chargées de la gestion administrative, jouent un rôle central dans la mise en conformité des PME. Elles assurent le lien entre la réglementation, la comptabilité et la trésorerie, comme le souligne l’article sur la gestion de la trésorerie en PME.
Cas pratiques et sanctions récentes
Plusieurs cas récents ont illustré la vigilance accrue des autorités :
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une société fiduciaire genevoise a été sanctionnée pour avoir accepté des fonds sans vérifier l’ayant droit économique, 
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un courtier immobilier tessinois a été radié de son OAR après avoir encaissé des dépôts en liquide non documentés, 
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une PME de conseil a reçu un avertissement pour absence de formation interne. 
Ces exemples rappellent que la conformité LBA ne relève pas d’une simple formalité administrative, mais d’une obligation légale assortie de risques réels.
Formation et culture de conformité
L’efficacité d’un dispositif de lutte contre le blanchiment repose avant tout sur la sensibilisation du personnel. Les employés doivent être formés à reconnaître les signaux d’alerte tels que :
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un client refusant de fournir des justificatifs, 
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des paiements fractionnés ou récurrents sans explication, 
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une structure de société complexe sans activité apparente. 
Une formation annuelle obligatoire et la désignation d’un référent conformité permettent de prévenir ces situations. Cette approche rejoint la philosophie développée dans l’article sur la formation continue en entreprise, qui souligne l’importance de développer les compétences administratives et réglementaires des salariés.
Une démarche stratégique pour la réputation des PME
La conformité à la LBA n’est pas qu’une contrainte, c’est aussi un atout concurrentiel. Une PME capable de démontrer sa transparence financière inspire confiance à ses partenaires, facilite l’accès au crédit bancaire et renforce sa crédibilité vis-à-vis des investisseurs.
Elle contribue aussi à la réputation globale de la Suisse comme place économique éthique et stable. Dans un contexte de mondialisation et de digitalisation, la lutte contre le blanchiment devient un élément central de la bonne gouvernance et de la durabilité des entreprises.
Sources :
- 
FINMA, Loi sur le blanchiment d’argent et obligations des intermédiaires financiers 
- 
Secrétariat d’État à l’économie (SECO), Guide de conformité pour les PME 2025 
- 
Bureau de communication MROS, Rapport d’activité 2024 sur les déclarations de soupçon 
- 
Deloitte Suisse, Corporate Governance and Financial Compliance 2024 
- 
PwC Suisse, Lutte contre le blanchiment d’argent et gestion des risques pour les PME 
- 
KPMG, Pratiques de conformité dans les PME romandes 2025 
- 
Office fédéral de la justice (OFJ), Révision de la LBA et obligations de diligence dès 2023 
