Télétravail frontalier : règles fiscales et sociales en Suisse

Le télétravail s’est imposé durablement dans le fonctionnement des entreprises suisses, y compris au sein des PME. Ce mode d’organisation, plébiscité pour sa flexibilité, bouleverse les repères juridiques et fiscaux, notamment pour les salariés frontaliers travaillant en Suisse et résidant en France, en Allemagne ou en Italie. Ces derniers représentent près d’un demi-million de travailleurs, soit un maillon essentiel de l’économie helvétique.

Depuis 2023, la Confédération et ses voisins ont conclu plusieurs accords afin d’encadrer les conséquences du télétravail sur la fiscalité, la sécurité sociale et les obligations des employeurs. Ces nouvelles règles permettent aux entreprises de bénéficier d’une meilleure clarté juridique, tout en maintenant la compétitivité du marché du travail transfrontalier.

Un cadre international révisé

Avant la pandémie, le télétravail transfrontalier n’était que marginalement prévu dans les conventions fiscales bilatérales. Chaque jour de travail effectué depuis le pays de résidence pouvait, en théorie, transférer la compétence d’imposition vers cet État, compliquant la gestion pour les employeurs et les administrations.

Pour remédier à cette insécurité, un accord multilatéral, signé entre la Suisse, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Liechtenstein, est entré en vigueur en juillet 2023. Il fixe désormais une règle claire : un travailleur frontalier peut télétravailler jusqu’à 49,9 % de son temps depuis son pays de résidence sans modification de son régime fiscal ou social.

Ce cadre harmonisé offre aux PME suisses une stabilité bienvenue dans la planification de leurs effectifs. Les services RH doivent cependant adapter leurs pratiques, notamment en matière de contrats, de comptabilité et de gestion des risques liés à l’assurance.

Tableau 1 : Répartition du régime applicable selon le temps de télétravail

Temps de télétravail dans le pays de résidence Régime applicable Conséquences fiscales et sociales
0 % à 49,9 % du temps de travail Règles suisses inchangées Imposition et cotisations en Suisse
50 % à 100 % du temps de travail Régime du pays de résidence Transfert de la sécurité sociale et imposition locale
Cas particuliers France Tolérance jusqu’à 40 % sans formalités Déclaration obligatoire au-delà de 40 %

Ces seuils reflètent la volonté d’encourager la flexibilité tout en évitant la double imposition ou les changements de caisse d’assurance intempestifs.

Les implications fiscales pour les employeurs et les salariés

En principe, un salarié frontalier est imposé dans le pays où il exerce physiquement son activité. Le télétravail a remis en question ce principe, puisque chaque jour travaillé depuis le pays de résidence pouvait théoriquement être imposé localement.

L’accord conclu entre la Suisse et la France en novembre 2022, désormais étendu, clarifie cette situation : le salarié reste imposé en Suisse tant qu’il ne dépasse pas 40 % de télétravail depuis la France. Au-delà, les revenus correspondants doivent être déclarés en France.

Les PME doivent alors tenir une comptabilité détaillée des jours de télétravail, afin de pouvoir justifier la ventilation fiscale en cas de contrôle. Ce suivi peut être intégré à leurs outils de gestion RH, comme les ERP adaptés aux PME suisses ou les logiciels de comptabilité numérique mentionnés dans l’article sur les logiciels de comptabilité les plus adaptés aux PME suisses en 2025.

Tableau 2 : Exemple d’imposition d’un salarié frontalier franco-suisse

Lieu de travail Temps annuel travaillé Régime fiscal Administration concernée
Bureau à Genève 60 % Imposition en Suisse Administration cantonale
Télétravail en Haute-Savoie 40 % Imposition en Suisse (accord bilatéral) Pas de modification
Télétravail supérieur à 40 % Variable Imposition en France Direction générale des finances publiques

Cette répartition implique une coordination étroite entre employeurs, fiduciaires et autorités fiscales. Les entreprises doivent veiller à ne pas dépasser les seuils sans mise à jour contractuelle, sous peine de devoir procéder à des déclarations fiscales dans plusieurs États.

Sécurité sociale et couverture des travailleurs frontaliers

La question de l’affiliation sociale est au cœur du dispositif. Selon les règlements européens de coordination (CE n°883/2004), un salarié exerçant plus de 25 % de son activité dans son pays de résidence doit en principe y être affilié. L’accord de 2023 relève ce seuil à 50 %, ce qui offre davantage de souplesse aux entreprises.

Un salarié frontalier travaillant en Suisse et télétravaillant deux jours par semaine depuis son domicile reste donc affilié à la sécurité sociale suisse, et continue de cotiser à l’AVS, à la LPP et à l’assurance accident obligatoire (LAA).

Cette stabilité simplifie la gestion pour les PME, tout en protégeant les droits des travailleurs. Cependant, les employeurs doivent déclarer le télétravail à la caisse AVS compétente et vérifier que les contrats de travail comportent une clause spécifique précisant les conditions de télétravail transfrontalier.

Ces obligations rejoignent celles évoquées dans l’article sur la protection des données en Suisse et conformité au RGPD, car les dossiers RH impliquent désormais des transferts transfrontaliers d’informations personnelles.

Télétravail, assurances et responsabilité

Le télétravail ne modifie pas les obligations légales en matière de sécurité au travail. Un accident survenu à domicile pendant les heures de travail reste considéré comme accident professionnel, couvert par la LAA. En revanche, un accident domestique non lié à l’activité professionnelle ne relève pas de cette couverture.

Les entreprises doivent donc informer clairement leurs collaborateurs des limites de la couverture et encourager une ergonomie adéquate. Une politique interne sur la prévention et la sécurité, similaire à celle évoquée dans l’article sur l’assurance accident en Suisse, permet de réduire les risques et de garantir la conformité légale.

Gestion RH et gouvernance

Pour les PME, le télétravail frontalier implique une adaptation structurelle. La création d’une charte interne décrivant les conditions de télétravail (durée, équipement, sécurité des données, fiscalité applicable) constitue une bonne pratique.

Les dirigeants doivent également assurer la coordination entre les services administratifs et comptables. Une gouvernance claire, inspirée des principes évoqués dans l’article sur la gouvernance d’entreprise adaptée aux PME suisses, facilite la mise en conformité et limite les erreurs administratives.

Les entreprises les plus avancées intègrent ces règles dans une approche plus large d’automatisation administrative, combinant outils RH, paie et gestion documentaire.

Tableau 3 : Bonnes pratiques de gestion du télétravail frontalier

Domaine Bonne pratique Objectif
Fiscalité Suivre le temps de travail par lieu d’exercice Éviter la double imposition
Sécurité sociale Déclarer le télétravail à la caisse AVS Garantir la couverture correcte
Contrat de travail Ajouter une clause transfrontalière Clarifier les obligations
Sécurité informatique Utiliser un cloud suisse certifié Respect de la LPD
Gouvernance Mettre en place une charte de télétravail Prévenir les litiges

Télétravail et fiscalité indirecte

Le télétravail a aussi un impact sur la TVA transfrontalière. Lorsqu’une entreprise met à disposition du matériel informatique ou du mobilier à un salarié télétravaillant à l’étranger, ces biens peuvent être considérés comme exportés temporairement. Tant qu’ils demeurent propriété de l’entreprise et sont utilisés à des fins professionnelles, aucune taxe ne s’applique, mais une documentation claire doit être conservée.

Les entreprises concernées peuvent se référer aux conseils publiés dans l’article sur la TVA en Suisse : taux, déclarations et erreurs à éviter, qui rappelle l’importance de conserver la cohérence entre facturation, comptabilité et documentation douanière.

Cas particuliers : dirigeants et indépendants frontaliers

Les dirigeants d’entreprises suisses résidant à l’étranger sont soumis à un régime spécifique. Lorsqu’ils perçoivent un salaire depuis la Suisse, celui-ci reste imposé en Suisse, même si une partie du travail est effectuée à distance. Cependant, leurs dividendes ou revenus accessoires peuvent être imposés dans le pays de résidence.

Pour les indépendants, le critère déterminant reste le lieu d’exercice principal de l’activité. Travailler majoritairement depuis la Suisse maintient l’affiliation au régime suisse. Ce point rejoint les problématiques évoquées dans l’article sur le droit du travail en Suisse 2025, qui précise les règles applicables aux dirigeants et indépendants en matière de contrat et de sécurité sociale.

Les défis de conformité pour les PME

La complexité des règles fiscales et sociales du télétravail transfrontalier exige une vigilance constante. Les erreurs les plus fréquentes concernent :

  • la non-déclaration du télétravail auprès des caisses sociales,

  • le dépassement du seuil de 49,9 % sans adaptation du contrat,

  • la confusion entre fiscalité suisse et étrangère,

  • ou encore la mauvaise gestion des assurances.

Une fiduciaire spécialisée en gestion transfrontalière peut aider les PME à assurer leur conformité, à l’image des pratiques évoquées dans Fiduciaire à Genève : comptabilité, fiscalité, création d’entreprise et gestion RH en Suisse.

Enjeux stratégiques pour les PME suisses

Au-delà des contraintes administratives, le télétravail frontalier représente une opportunité de fidéliser les talents et d’élargir le recrutement. Les entreprises qui adoptent une approche claire et conforme gagnent en attractivité et en flexibilité.

La tendance s’inscrit dans une vision plus large de la modernisation du travail en Suisse, où la digitalisation, la sécurité juridique et la responsabilité sociale se conjuguent pour renforcer la compétitivité du tissu économique.

Sources :

  • Secrétariat d’État à l’économie (SECO), Télétravail transfrontalier et fiscalité 2025

  • Office fédéral des assurances sociales (OFAS), Accords bilatéraux sur la sécurité sociale et le télétravail

  • Administration fédérale des contributions (AFC), Fiscalité des frontaliers et conventions internationales

  • PwC Suisse, Télétravail et fiscalité internationale : nouvelles règles 2024-2025

  • KPMG Suisse, Gestion des employés transfrontaliers et conformité RH

  • Deloitte Suisse, Cross-Border Telework Compliance Guide (2025)

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