Le mentor dans l’entreprise : un big brother ou un compagnon de carrière ?

Ecrit par Sylvain Castaut 14 mars 2021

On ne saurait examiner le phénomène du mentoring sans penser l’entreprise comme un tout cohérent, comme un organisme vivant. Le régime mentoral vient renforcer les liens organiques internes en assurant la transmission de l’expérience acquise et en favorisant la circulation de l’information à l’intérieur de ce corps vivant qu’est, notamment, l’entreprise.

Le mentoring est également étroitement lié à la culture de l’entreprise dont il essaie de cultiver les valeurs principales et de transmettre l’héritage à une nouvelle génération de salariés.

Réunissant un mentor et un protégé (certains, à la suite du mot anglais mentee, parlent de mentoré) dans ce que la littérature spécialisée en la matière appelle binôme, le mentoring va jusqu’à diluer les frontières entre l’univers des cadres et celui des employés ordinaires.

Le contact aussi étroit que fréquent entre un responsable d’entreprise endossant le rôle de mentor et un employé qui devient en l’occurrence son protégé, fait fondre les rigueurs de la hiérarchie et contribue à ce que s’installe dans l’entreprise un climat de confiance et de convivialité.

C’est dans ce sens-là que va aussi la définition donnée par P. Angel et D. Cancellieri – Descroze : le mentoring serait « un compagnonnage, une vie en commun, un partage d’expériences, d’émotions, de désillusions, de joies et de peines. » Etant le plus souvent un supérieur hiérarchique, le mentor est prêt à favoriser la promotion de son protégé, sa visibilité dans l’entreprise et son accès à des niveaux plus élevés de responsabilité. Les deux auteurs susmentionnés décrivent le « mentor idéal » comme étant : Adaptable/ Sympathique/ Compréhensif/ Sur qui on peut compter/ Consciencieux/     D’expression claire/ Intéressé par sa propre évolution/ Bon communicant/ Prêt-à-porter son aide et donner de son temps/ Accessible/ Apte à faire passer un enseignement/ Ayant une approche philosophique du mentoring/ Ayant une expérience et un savoir- faire/ Ayant un intérêt dans le savoir technologique.

D’après R. Houde, une autre spécialiste en la matière, le mentor « révèle le protégé à lui- même et l’aide à implanter son rêve de vie. »  Agissant à la fois sur le plan du professionnel et du psycho- social, allant jusqu’à empiéter aussi sur le projet de vie et « le rêve de vie » de son protégé (comme on vient de le noter), le mentor devient une figure de référence dans l’entreprise qui implante la culture du mentoring. La question se pose de savoir si son influence sur le « protégé » ne risque pas de devenir celle d’un « Big brother » commandant à ce dernier des comportements qui ne lui sont pas toujours appropriés.

On peut en effet remarquer que les théoriciens du mentoring insistent beaucoup trop sur une identification du protégé à son mentor pour qu’ils ne donnent pas lieu à des interrogations sur de possibles dérives dans ce sens. On assure, évidemment, que s’il s’agit de s’identifier, c’est pour mieux se différencier par la suite. Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut accepter sans nulle réserve la description du mentor comme une « figure d’identification ». Combinée aux références à la mythologie grecque que les chercheurs sur le mentoring se plaisent, bien curieusement, à multiplier, l’identification tant recommandée entre les deux protagonistes du binôme peut renvoyer à l’idée d’une habile manipulation d’ordre hypnotique voire spirituel.

Ceci dit – et surtout si l’on accepte d’envisager le système mentoral dans sa réalité pratique plutôt que comme une philosophie – le mentoring reste une source de multiples bénéfices pour les entreprises : on lui doit, parmi tant d’autres, le renforcement des liens sociaux, l’optimisation du management, une vitalité accrue de l’entreprise, une meilleure participation à l’organisation, la favorisation de l’initiative et la créativité, le sens des responsabilités partagées, la facilitation de l’usage du savoir…